Un projet des AmiEs de la Terre de Québec

Se nourrir des déchets des autres

J’ai ressenti tout un mélange d’émotions quand pour la première fois, j’ai ouvert une poubelle dans le but d’en récupérer des déchets auxquels j’allais redonner un statut d’aliment consommable : surprise (wow il y a beaucoup de beaux fruits!), excitation (super j’ai trouvé quelque chose!) et frustration (ces aliments sont encore bons, pourquoi attendent-ils l’arrivée des vidangeurs?!). 

Comment ça se fait que dans un contexte où l’insécurité alimentaire est en hausse au Québec, tellement de nourriture est jetée que plusieurs personnes peuvent s’en nourrir ? Une quantité colossale d’aliments se retrouve dans les dépotoirs, qui eux se remplissent, doivent être multipliés et agrandis. Le dumpster diving, pratique qui consiste à fouiller les bennes à ordures pour en récupérer des denrées comestibles, est possible seulement dans un monde où le gaspillage alimentaire existe, et où les ressources sont inégalement distribuées.

Ce qui me semble encore plus incroyable, c’est que des formes de contrôle législatif, physique et moral empêchent ou entravent le dumpster diving. Il n’y a pas vraiment de cadre législatif qui entoure spécifiquement cette pratique, mais il est question plus généralement de respect de la propriété privée et du matériel. Sinon, il faut voir au niveau des municipalités. Mais les contours légaux du dumpster diving restent flous pour beaucoup d’internautes qui en discutent sur les réseaux sociaux.  

Je me suis souvent cognée le nez sur des compacteurs, qui rendent impossible la consommation des déchets. Mais il y a aussi des clôtures, des caméras, des cadenas qui sont posés sur nombre de poubelles de commerces, ce qui rend plus difficile ou carrément impossible l’accès aux déchets. 

Mais pourquoi les déchets sont-ils protégés, cachés, rendus difficiles d’accès, ou d’autres fois dévalorisés, comme les courges et citrouilles décoratives le lendemain de l’Halloween ? Je n’ai pas parlé aux personnes qui conçoivent les dispositifs matériels de gestion des déchets, qui écrivent les lois, qui construisent des clôtures ou nettoient un quartier. Mais c’est peut-être parce que, comme l’a écrit l’anthropologue britannique Mary Douglas, la saleté ça dérange, ça offense l’ordre social. En fait, les déchets, les poubelles, la pollution, c’est tabou. On est déconnectés des retombées de la surproduction et de la surconsommation : les déchets sont cachés, comme quelque chose d’impropre qu’on ne veut pas sentir, ni voir, ni savoir. C’est un peu la même chose pour les travailleurs qui débarrassent l’espace public de tout ce qui ne sert plus à la société. Cette idée est approfondie par un sociologue et vidangeur, Simon Paré-Poupart, dans son livre Ordures! Journal d’un vidangeur paru en 2024. Ils restent dans l’ombre, comme les rebus qu’ils ramassent. Je plaide : établissons un droit de glanage ! Rendons les déchets accessibles ! Encore mieux : réduisons les déchets !

 

Ces réflexions sont issues d’une thèse en cours et d’un journal d’enquête réalisé dans le cadre du cours Métamorphoses du contrôle social (SOC-7168) du département de sociologie de l’Université Laval. 

 

Écrit par Cloé Bélanger, candidate au doctorat en sociologie de l’alimentation et de la consommation durable.

Sources :
https://banquesalimentaires.org/wp-content/uploads/2024/10/Bilan-Faim_2024.pdf
https://www.inspq.qc.ca/covid-19/sondage-prevention-habitudes-de-vie/nutrition-
24mai2025
https://shsitepublicassets.blob.core.windows.net/public-
assets/reports/Avoidable%20Crisis%20of%20Food%20Waste%20-%20Roadmap.pdf
https://www.ledevoir.com/environnement/700791/des-sites-d-enfouissement-sur-le-point-
de-deborder
https://shsitepublicassets.blob.core.windows.net/public-
assets/reports/Avoidable%20Crisis%20of%20Food%20Waste%20-%20Roadmap.pdf