De la production, à la dégustation, en passant par les achats et la préparation des repas, l’alimentation est présente dans l’Art. Sculpteurs, photographes, réalisateurs, poètes, peintres et écrivains se sont en effet laissés inspirer par elle, d’un côté pour la mettre en valeur, et de l’autre pour critiquer ses excès. Nous vous proposons avec cet article de découvrir les différentes façons dont la culture peut s’emparer de la nourriture, à travers plusieurs œuvres.
En guise d’introduction
Organisée par le Ministère de la Culture français en 2017, l’exposition intitulée « Quand les artistes passent à table. Leurs regards sur l’alimentation » aborde plusieurs thèmes : manger, acheter, modifier, cultiver, élever et préserver. En consultant en ligne le dossier de presse de l’exposition, vous pourrez lire une petite description pour chacune de ces thématiques et observer plusieurs photos d’œuvres d’arts qui s’emparent de ce sujet.
Acheter
Le moment emblématique de l’achat en supermarché
Supermarket Lady est une œuvre hyperréaliste emblématique réalisée en 1969 par Duane Hanson. Cette ménagère en chaussons, avec des bigoudis dans les cheveux, qui pousse un chariot débordant de vivres est le symbole de la société de surconsommation qui s’impose dans nos sociétés occidentales à partir des années 1950.
La nourriture industrielle
En 1962, la nourriture industrielle se fait art avec l’œuvre Campbell’s Soup Cans d’Andy Warhol. Le père du pop art utilise la technique de sérigraphie pour imprimer les 32 variétés de soupe de la marque américaine. Comme pour la fabrication des boîtes de conserve, les toiles sont alors produites en série, de façon mécanique. Avec cette œuvre presque commerciale, le changement d’alimentation va aussi atteindre le milieu artistique.
Au contraire, l’Art peut aussi se dresser contre l’industrie agroalimentaire. En 1976, Claude Zidi réalise ainsi le film l’Aile ou la cuisse. On y suit le personnage de Charles Duchemin, éditeur d’un guide gastronomique de renom. Au fil de l’intrigue, il est amené (et le spectateur avec lui) à visiter l’usine de fabrication des plats sous vide de la marque Tricatel. Avec humour, on y découvre une nourriture industrielle infecte et chimique très différente des produits frais.
La surabondance : un phénomène de société insoutenable
Tout au long de sa série de photos intitulée The Book of Healthy and Tasty Food, l’artiste Alex Yudzon se plait à placer la nourriture au cœur de son œuvre. Originaire d’URSS, ayant émigré aux Etats-Unis, il y a découvert avec stupeur la surconsommation et le gaspillage alimentaire qui en découlait. En mettant en scène cette surconsommation et cette opulence, il nous tend comme un miroir qui nous permet de mieux comprendre les excès d’un tel système, et donc de repenser notre rapport à la nourriture.
Le juste prix de la nourriture
En 2019, Maurizio Cattelan a créé une œuvre d’art composée d’une banane scotchée sur un mur. Cette œuvre contemporaine a été vendue à 120 000 euros avant d’être mangée par un autre artiste (David Datuna) lors d’un happening quelques jours plus tard. Comme l’urinoir que Marcel Duchamps a exposé en 1917 dans un musée (en l’intitulant Fontaine), la banane accrochée au mur, bien qu’elle reste consommable et périssable, a considérablement gagné en valeur dès lors qu’elle a été considérée comme une œuvre d’art. Alors que la part de l’alimentation dans le budget des ménages a baissé de façon significative depuis plusieurs décennies, cette situation incongrue permet de se questionner sur la vraie valeur des produits agricoles.
Gaspiller
Une déclaration aux aliments gaspillés
Avec son projet Waste Not, la photographe Eliza Eliazarov nous donne à voir la beauté des aliments gaspillés, en les agençant à la manière des natures mortes.
Ainsi sublimés, les déchets se transforment en modèles d’œuvres d’arts et s’inscrivent dans la succession des peintures anciennes : la Nature morte aux pommes de Paul Cézanne, la Corbeille de fruits du Caravage, la Nature morte avec cruche de Vincent Van Gogh, la Nature morte au magnolia d’Henri Matisse ou encore La casserole émaillée de Pablo Picasso.
Les fruits et légumes moches : des modèles au profil singulier
Dans son projet Ugly Produce is Beautiful, la photographe Sarah Philips met en avant des aliments gaspillés car considérés comme « moches ». Ce projet lui a permis de remporter le concours « Make Art, Not Food Waste » organisé par National Geographic en 2016.
Cuisiner
L’art du dressage
Dans « L’exposition Comestible » du musée de l’enfance de Londres, tout se mange : affiches, flyers et même tickets ! Il s’agit d’une belle façon de montrer que la cuisine est une alliance de goûts mais aussi de visuels, et que la créativité a véritablement sa place dans l’art culinaire, pour le plaisir des petits comme des grands.
La cuisine est une affaire culturelle
Parce que les goûts sont aussi des dégoûts, le « Disgusting Food Museum » nous invite à découvrir les plats les plus écœurants au monde. En visionnant les différentes œuvres exposées, on se rend compte à quel point l’alimentation est dépendante de la culture, et que certaines denrées considérées comme inconsommables dans certaines régions le sont parfaitement dans d’autres. Lors de son passage dans la ville de Nantes, plusieurs dégustations ont même été proposées aux visiteurs.
Quand la cuisine fait parler d’elle
Plusieurs poètes se ont été inspirés par la couleur, la texture, l’odeur et le goût des aliments, ainsi que par les scènes de marché et les intérieurs de cuisine. Parmi les poèmes qui existent, nous vous conseillons la lecture de : « Soupe en douce » de Chloé Douglas, « Le pain » de Francis Ponge, « Sardines à l’huile » de Georges Fourest, « La cuisine » d’Albert Samain, « La cuisine » et « Cuisson du pain » d’Emile Verhaeren, « Chez Gaston, le nôtre » de William Braumann et enfin de « Jour de marché » de Didier Venturini.
A l’inverse, la cuisine peut elle aussi se faire poète, comme dans le livre de recette Eloges de la cuisine française. Edouard Nignon, le grand cuisinier français de la première moitié du XXème siècle, y écrit de façon très élaborée, à la manière d’un roman.
Quand la cuisine fait rêver
Lorsque l’art s’empare de l’alimentation, il écarte souvent les contours du réel pour nous faire voyager et rêver autour de la gastronomie.
La peinture a été la première à créer un imaginaire autour de l’alimentation. On peut par exemple citer les portraits de Giuseppe Arcimboldo, dans lesquels les visages et vêtements des personnages sont composés de végétaux, animaux et objets.
L’art littéraire n’est pas en reste : dans le livre Charlie et la chocolaterie, Roald Dahl imagine un chocolatier de génie, capable de créer de merveilleuses sucreries. On retiendra entre autres la glace qui ne fond jamais et le chewing-gum qui ne perd pas son goût.
Enfin, le septième art a lui aussi apporté une dimension onirique à la cuisine. Effectivement, dans le film d’animation Ratatouille réalisé par Brad Bird en 2007, le héros est Rémi, un rat qui rêve de devenir chef à Paris. La morale du film est que tout le monde peut cuisiner, et que la gastronomie peut rapprocher les personnes, aussi différentes soient-elles.
Manger
La nécessaire sécurité alimentaire
L’artiste Monsieur BMX a mis en place un projet artistique solidaire à Paris et Montpellier qui met l’art au service des plus démunis. Le concept est le suivant : l’artiste accroche un caddie au mur d’un supermarché pour inciter les clients à donner de la nourriture à ceux qui en ont besoin.
Les troubles alimentaires
Qu’il s’agisse de mal s’alimenter, de se nourrir trop peu ou de manger excessivement, les troubles alimentaires se multiplient. L’art s’est donc naturellement emparé de ces manières nocives de s’alimenter, et le film La grande bouffe, réalisé en 1973 par Marco Ferreri en constitue l’exemple le plus éclatant. Dans ce film franco-italien, un groupe d’amis insatisfaits de leurs vies décide de s’isoler dans une villa et de manger jusqu’à en mourir.
Le repas comme instant de convivialité
Le repas de noce est un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, un peintre flamand du XVIème siècle. Les convives de ce repas sont des paysans, et toute la scène symbolise le partage entre les personnes présentes.
Plus tard, c’est au cinéma que ce thème sera abordé. Le festin de Babette est en effet un film danois de 1987 dans lequel une cuisinière qui a gagné à la loterie dépense tous ses gains pour offrir un délicieux repas à ses proches. Ce long métrage met ainsi en valeur un moment de partage, une cuisine généreuse qui apporte de la joie à ceux qui la goûtent.
Valentine Pomas,
Stagiaire pour Sauve ta Bouffe