Article par Anne Vigna, Rio de Janeiro, pour Enjeux Les Echos
«Gâteau de peaux de banane, pâtes aux branches de brocoli ou risotto à l’écorce de pastèque… La chef brésilienne Regina Tchelly est devenue une star du Slow Food dans les favelas en enseignant un nouvel art culinaire.
Cela faisait un an que Regina Tchelly initiait les habitants de Babilonia, une petite favela de Rio de Janeiro, à la cuisine de récupération, lorsqu’elle rencontre Carlo Petrini, fondateur du mouvement italien Slow Food. Séduit, le créateur de l’université des sciences gastronomiques en Italie est devenu l’un des principaux ambassadeurs de Favela Orgânica, projet initié par la Brésilienne. Contribuant à faire connaître dans le monde une idée gastronomique, écologique et économique, autant dire « soutenable ».
« C’est là que je me suis rendu compte du gaspillage de la nourriture qui est tellement ancré dans notre culture », dit la jeune femme, en préparant une confiture de peaux de goyave, habituellement jetées.
Missionnaire de la gastronomie
La journée de Regina Tchelly commence au marché, au moment où les marchands remballent. Accompagnée de ses élèves, elle montre ce qu’on peut récupérer : « Pourquoi n’utiliser que les fleurs du brocoli et laisser le tronc et les branches ? Qui a décidé qu’il n’existait que des parties nobles dans un légume ? » C’est en interrogeant ses élèves sur leur rapport à la nourriture qu’elle parvient à remettre en question bien des habitudes alimentaires. Depuis, l’association Favela Orgânica s’est associée à d’autres initiatives écologiques dans les favelas de Rio de Janeiro et propose désormais des cours qui englobent tous les aspects de l’alimentation. Une diététicienne enseigne l’essentiel sur les nutriments, tandis que le groupe Verdejar (reverdir en portugais) montre comment utiliser les recoins d’une maison ou d’un patio pour planter des légumes et réaliser un compost avec des seaux en plastique. « Nous devons rendre à la terre ce que nous prenons ; l’alimentation est un cycle continuel et c’est en respectant ce cycle qu’on peut sortir de la misère, estime Regina. Je suis devenue une missionnaire de la gastronomie ! »
Des petits jardins bios
Les femmes de la favela qui ont suivi son enseignement affirment avoir significativement réduit le budget alimentation de leur famille avec cette nouvelle approche. « Surtout, on mange mieux : plus de légumes et moins de produits industriels », constate Lydia, mère de quatre enfants. Etonnamment, Regina parvient à intéresser également les hommes à ses cours, dans lesquels elle les incite à créer de petits jardins bios. A Babilonia, plusieurs ont déjà fleuri, avec l’aide de la mairie de Rio de Janeiro qui a décidé d’y démarrer un projet sur l’alimentation. « La prise de conscience des habitants grâce à l’action de Favela Orgânica a permis d’avancer beaucoup plus vite », reconnaît Suya Presta, en charge du projet. Sans formation, il est probable que les jardins de Babilonia auraient vite été abandonnés. Désormais, ils croissent et se multiplient.»